WABI SABI, éloge de l’imperfection
« LA SIMPLICITÉ EST L’ULTIME SOPHISTICATION » – Léonardo Da Vinci
Le nom le plus proche de wabi-sabi en Français est » rustique » : simple, naturel où non-sophistiqué, avec une apparence rugueuse où irrégulière . Quasiment depuis son émergence en tant que conception esthétique distincte, le wabi-sabi est associé de près ou de loin au Bouddhisme Zen. On pourrait le nommer « le zen des choses » étant donné qu’il illustre de nombreux principes spirituels philosophiques du Zen. Le wabi-sabi est le trait le plus évident et le plus caractéristique de ce qui représente à nos yeux la beauté japonaise traditionnelle. Il occupe sensiblement la même place dans le panthéon des valeurs esthétiques japonaises que les idéaux grecs de perfection et de beauté en Occident. Dans son acceptation la plus large, c’est un mode de vie ; dans son sens le plus étroit, c’est un type particulier de beauté.
– WABI : fait référence à un mode de vie, un chemin spirituel, l’intérieur, le subjectif, une construction philosophique.
– SABI : fait référence à l’art et la littérature, aux objets matériels, l’extérieur, l’objectif, un idéal esthétique, des événements temporels.
Le wabi-sabi puise ses fondements dans les valeurs spirituelles. La vérité découle de l’observation de la nature, toutes choses sont impermanentes, imparfaites, incomplètes. La notion de complétude n’a aucun fondement dans le wabi-sabi. La « grandeur » réside dans les détails discrets et négligés, le wabi-sabi a une affinité avec le caché, l’indécis, l’éphémère, les choses si subtiles et évanescentes qu’elles deviennent invisibles à l’homme ordinaire. La beauté peut être obtenue à partir de la laideur, le wabi-sabi hésite à séparer la beauté de la non-beauté. Le wabi-sabi suggère que la beauté est un événement dynamique qui se produit entre vous et quelque chose. La beauté peut surgir spontanément à n’importe quel moment, pourvu que les circonstances où le point de vue soient appropriés. Il est ainsi un état modifié de conscience, un extraordinaire moment de poésie et de grâce. Le wabi-sabi est une perception esthétique du caractère éphémère de la vie.
Le wabi-sabi évoque les domaines les plus subtils, ainsi que toute la mécanique et la dynamique de l’existence, bien au-delà de ce que nos sens peuvent ordinairement percevoir. Le wabi-sabi consiste précisément à trouver l’équilibre subtil entre le plaisir que nous retirons des choses et celui que nous retirons de notre liberté par rapport aux choses.
Dans le wabi-sabi dire qu’une chose « a de la valeur » ne signifie rien puisque cela impliquerait que d’autres n’en ont pas. Un objet n’obtient la « qualité de wabi-sabi » qu’au moment où il est apprécié comme tel. Les objets wabi-sabi et les matériaux qui les constituent sont clairement soumis aux effets du vieillissement où de leur utilisation. Irréguliers et indifférents au bon goût conventionnel.
Intimes, discrets, modestes, ces objets disent : approchez, touchez, entrez en relation. Les objets wabi-sabi ne sont appréciés que pendant le temps de leur utilisation et du contact direct que l’on a avec eux. Le wabi-sabi se décline en une infinie variété de gris, bruns, noirs tirant sur le rouge, noirs tirant sur le bleu, sur le vert, blancs cassés du coton non traité, du chanvre où du papier recyclé, la rouille argentée des jeunes pousses et des arbrisseaux, les bruns verts des bourgeons tumescents… La simplicité est au coeur des objets wabi-sabi. C’est un état de grâce auquel on parvient par l’action heureuse d’une intelligence empreinte de sobriété, de modestie et de sincérité. La stratégie principale de cette intelligence est l’économie de moyens . Réduisez jusqu’à l’essence, mais n’enlevez pas la poésie, gardez les choses pures et non encombrées, mais ne les stérilisez pas (les objets wabi-sabi sont émotionnellement chauds).
Le Zen insiste sur une « vision directe, intuitive de la vérité transcendante, au-delà des conceptions intellectuelles ». Au coeur du wabi-sabi comme du zen se joue l’idée qu’il importe de dépasser les manières conventionnelles de considérer et de penser les choses et l’existence. Le non-être occupe une position centrale dans l’esprit wabi-sabi de même que dans le Zen. Quand une chose prend une valeur commerciale excessive, elle cesse d’être wabi-sabi. L’irrégularité et la variabilité ont leur poésie et sont toujours difficiles à produire massivement.
Extraits de : WABI- SABI à l’usage des artistes, des designers, des poètes et philosophes de Leonard Koren – Editions Sully.
« Car un laque décoré à la poudre d’or n’est pas fait pour être embrassé d’un seul coup d’oeil dans un endroit illuminé, mais pour être deviné dans un lieu obscur, dans une lueur diffuse qui, par instants, en révèle l’un ou l’autre détail, de telle sorte que, la majeure partie de son décor somptueux constamment caché dans l’ombre, il suscite des résonances inexprimables. De plus, la brillance de sa surface étincelante reflète, quand il est placé dans un lieu obscur, l’agitation de la flamme du luminaire, décelant ainsi le moindre courant d’air qui traverse de temps à autre la pièce la plus calme, et discrètement incite l’homme à la rêverie. N’étaient les objets de laque dans l’espace ombreux, ce monde de rêve à l’incertaine clarté que sécrètent chandelles ou lampes à huile, ce battement du pouls de la nuit que sont les clignotements de la flamme, perdraient à coup sûr une bonne part de leur fascination. Ainsi que de minces filets d’eau courant sur les nattes pour se rassembler en nappes stagnantes, les rayons de lumière sont captés, l’un ici, l’autre là, puis se propagent ténus, incertains et scintillants, tissant sur la trame de la nuit comme un damas fait de ces dessins à la poudre d’or. »
Extrait de : L’ Éloge de l’ombre de Junichirô Tanizaki – Editions Verdier.
« Contrairement aux Occidentaux qui s’efforcent d’éliminer radicalement tout ce qui ressemble à une souillure, les Extrême-Orientaux la conservent précieusement, et telle quelle, pour en faire un ingrédient du beau. »